Tournoi d’éloquence 2017

Tournoi d’éloquence 2017

Salle à gradins de l’Institut Notre-Dame de Jupille

Vendredi 17 février 2017

Participants

Caroline STUDINSKI

« Les hommes vous estiment en raison de votre utilité sans tenir compte de votre valeur. » (H. de Balzac)

Marie ROSSETTO

« La science sans religion est boiteuse, la religion sans science est aveugle. » (A. Einstein)

Anissa FINNICH

« Le secret du bonheur est d’affronter le fait que la vie est horrible, horrible et horrible. » (B. Russell)

William CORNELIS

« Nous sommes, par nature, si futiles que seules les distractions peuvent nous empêcher vraiment de mourir. » (L-F Céline)

Esma DIKICI

« Etre bête, égoïste et avoir une bonne santé : voilà les trois conditions voulues pour être heureux. Mais si la première vous manque, tout est perdu. » (G. Flaubert)

Taslim ZEMMOURI

« Le talent c’est la politesse à l’égard de la matière, il consiste à donner un chant à ce qui était muet. » (J. Genet)

Assal SHEKARI

« Penser, c’est dire “non”. » (Alain)

Mélodie NZEMBO

« N’a de conviction que celui qui n’a rien approfondi. » (E. Cioran)

Laura DUBOIS

« Le monde est beau, et hors de lui, point de salut. » (A. Camus)

Romane DIDEBERG

« Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance. » (C. Baudelaire)

 

Palmarès

1er prix

Romane DIDEBERG

2ème prix

Anissa FINNICH

Prix du public

Laura DUBOIS

Le texte de Romane

Si je suis ici ce soir avec vous, c’est pour vous faire part d’une belle histoire. Un conte fantastique, une attendrissante fable où tout finit bien. Ce n’est pas très connu, ça s’appelle “l’ancien testament”

« Je vis un grand trône blanc, et celui qui y était assis (Dieu)… Je vis aussi les morts, grands et
petits, qui se tenaient devant Dieu; et les livres furent ouverts. On ouvrit aussi un autre livre, celui qui est le livre de vie. Et les morts furent jugés selon leurs oeuvres, d’après ce qui était écrit dans les livres.»

Les uns seront condamnés à la souffrance éternelle, les justes auront accès à l’Eden. Dieu jugera équitablement, de telle sorte que « le jugement sera conforme à la justice et tous ceux dont le coeur est droit l’approuveront ».
“Soyez un bon croyant et me paradis est à vous”. Voici peut-être le plus vieux slogan publicitaire du monde. Dans ces quelques versets que je vous ai sortis de leur contexte on a l’impression d’un salut au rabais, d’une arnaque fumeuse, pour appâter les braves âmes soucieuses d’obtenir leur place au paradis.
C’est LA solution miracle, une vie menée de façon exemplaire et la seconde vous est offerte !

À la lecture de ces quelques versets, je m’imagine un Dieu hurlant sur la place du marché, haranguant la foule de par ses alléchantes promotions, bradant le salut de l’âme comme il braderait un kilo de mandarines. Le PARADIS, ou encore les 72 vierges, bref l’affriolante carotte au bout du bâton.
On a longtemps fait miroiter cet oasis de paix permettre afin qu’ils restent dociles, étouffant la véritable foi.
La damnation et l’enfer, le salut et la vie éternelle, autant de dénominations d’une désolante binarité. Ceci est bon, cela est mauvais. Ce texte biblique apocalyptique dépeint une fin du monde atroce, graciant les bons et valeureux chrétiens, vouant les autres à un calvaire perpétuel. C’est peut-être un texte qui a servi à des gens qui l’ont pris au pied de la lettre, de faux dévots qui malmènent leur religion à justifier d’ignobles façons d’agir.
Pour mettre au bûcher quiconque fait un pas de travers, pour sacrifier, pour châtier, ou se permettre de « juger l’oeuvre d’autrui ». Cela a contribué à ériger un monde régenté par des principes glaçants de conformité, tuant avec dévotion la créativité, la qualifiant de décadence.
Et pourtant, pour moi, l’enfer s’apparenterait plutôt à cette lisse et aride vie, celle qu’on a laissé entrevoir à certains pour être assuré de le connaître, ce chimérique paradis. Une vie où il est bon de se purger, de se flageller à la moindre faute, pour s’assurer que Dieu continue de nous aimer. Rien ne me révulse plus que d’entendre les commérages de vipères bien pensantes, condamnant les faiblesses de leurs semblables pour compenser leur cruel manque d’épanouissement personnel. Les serpents qui trouvent de la jouissance à empoisonner le puits, commentant allègrement divorces, adultères, et enfants hors mariages. Sont-ils de bons chrétiens ou de fervents hypocrites ? Iront-ils au paradis, eux, les bien mariés mais dépressifs ? Emporteront-ils avec eux la bonne dose de haine qu’ils ont accumulée ici-bas à salir de leurs jugements les fautifs, les marginaux. On ne peut se sentir légitime dans le jugement d’autrui. C’est symptomatique d’une frustration indélébile aux tréfonds de leur âme amère et lourde.
À ces grandiloquentes et archaïques mises en gardes de damnation, Charles Baudelaire répondra :
« Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance ». A quoi bon passer sa vie à anticiper un au-delà, à troquer sa vie pour des indulgences, à craindre une probable comparution devant Dieu. Pour lui, cette conception stérile et ascétique de la vie étouffe la véritable vie, la vie bouillonnante et instable, la sale bête qui grouille, composée
de passions dévorantes et ardentes, et d’aspirations démesurées et déraisonnables. Cette vie où laideur et beauté se conjuguent amoureusement pour mettre au monde une réalité mitigée mais d’une vibrante authenticité.
Baudelaire a écumé les maisons closes, les impasses coupe gorge aux enivrants relents d’alcool, les endroits où les gens ont brûlé la vie par ld’artificiels . Il a fait l’ode des prostituées, des ivrognes désoeuvrées. Il a fréquenté les infréquentables, les pestiférés, et en a retiré la beauté, la richesse, l’humanité.
Dans ses fleurs du mal, il a dépeint de façon éperdue et bienveillante les vices de l’homme, ses aspérités, ses irrégularités. Il est parvenu à dénicher la splendeur dans l’authenticité accrue, la beauté de la vie dans la laideur d’un quotidien difforme. Car il savait que ces gens, peut-être relégués au rang de marginal, probablement pas acquittés lors de l’hypothétique jugement dernier,
recelaient les plus beaux trésors d’humanité en eux. Car ils sont faillibles, mutilés par une vie qui ne s’est pas avérée des plus faciles. Est-ce pour autant qu’ils sont dénués de valeurs ? Qu’ils ne sont pas de dignes êtres humains? Ils ne prennent simplement pas d’artificiels principes peu essentiels au bonheur comme but ultime. Ce sont des êtres d’une infinie sensibilité. Ils se sont construits sur une poétique ambiguïté, où un manichéisme réducteur et destructeur n’a pas sa place. Et ils sont assurément plus humains que ceux qui se targuent de vivre en bons chrétiens. Baudelaire a été accusé de porter atteinte à la morale publique et à la morale religieuse. Pour d’inoffensifs poèmes. Heureusement, un ardent défenseur de la morale, maître Pinard, a su taxer sans vergogne l’infâme poète de débauché, d’immoral pervers. S’érigeant en héroïque censeur des impudiques vers mis en
questions, en bienfaiteur de la moralité alors nonchalamment bafouée par Baudelaire, maître Pinard s’est éreinté à pointer d’un doigt accusateur Baudelaire, cette irrécupérable enflure, terroriste des mots, et à lui asséner les coups brutes de sa bien-pensance.
Qu’est-ce qui affolait tant les contemporains de Baudelaire dans ses poèmes ? La nudité ? Les
corps ?  La chair ? Pourquoi éprouver une telle aversion pour des notions aussi naturelles et inéluctables, qui nous précèdent et qui nous définissent. Celles qui nous ont donné ce que nous possédons de plus cher : la vie. Pourquoi cacher de façon coupable , à coups d’ineptes conventions
humaines de tabous étouffants, l’aspect le plus brute, primitif et peut-être le moins surfait de l’homme ? Pour le bon-sens ? La morale ? Pourquoi censurer l’imperfection? L’imperfection c’est la beauté, l’imperfection c’est la vie. Elle est la photo que l’on préfère aux autres, pour un sourire pris sur le fait, un défaut attachant immortalisé par hasard, pour une fraction d’instant où l’humanité surgit et offre toute sa majesté à qui sait l’entrevoir. Vivre la vraie vie, c’est aussi explorer ses extrémités moins glorieuses. Ce sont les coups de folie où l’ont préfère l’exaltant excès à l’ennuyeuse mesure. Et la laideur c’est aussi la vie. La vie, ce singulier et absurde voyage, c’est
l’aspérité sur le miroir lisse, la tasse ébréchée. Il y a des ombres au tableau et heureusement. Car c’est ce qui nous rend beaux, fragiles, touchants. C’est ce qui nous rend humains. Et le vrai paradis est peut être après tout plus humble, moins pompeux. Peut-être se cache-t-il tout simplement dans la pleine jouissance du bref éclat de vie qui nous est éphémèrement accordé.